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Le Voyage égoïste

Colette

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" Un jeune homme que je connais donna rendez-vous à sa jeune amie au seuil d'un métro, et s'élança dès qu'il la vit paraître, nette sous son costume tailleur, le cou ceint d'une écharpe, la petite cloche plus bas que les yeux, le cheveu invisible, la nuque rasée, l'ocre et le carmin sur la joue: " Enfin, c'est toi! " C'était une autre, pareille. Une deuxième jeune femme réglementaire issant de l'abîme, le jeune homme s'élança derechef vers la cloche, la joue, l'écharpe, les bas _ il lui fallut essayer trois jeunes femmes pour qu'il tombât, si j'ose écrire, sur la bonne. Corrigé, il accueillit sa véritable amie avec une froide réserve, et tandis qu'elle l'en gourmandait à voix haute, il l'authentifiait encore un peu halluciné: " Un grain de beauté sous l'oeil, bon, et des pendeloques vert-jade aux oreilles, et quatorze bracelets de verre au poignet, je m'en souviendrai. " Mais au même instant on lui marcha sur le pied: une voix féminine, qui sortait d'un petit chapeau-cloche, lui dit " pardon " sur le ton d'une sèche réprimande. Il entendit le tintement d'un quarteron d'anneaux, en verre tchécoslovaque; il distingua, le long d'une joue plus brune et plus rose que nature, deux longs pendants de faux jade, et reçut dans l'oeil le pan bariolé d'une écharpe. Alors un transport de peur et de colère souleva le jeune homme. Il se pencha, mordit la belle joue de son amie trop anonyme, et l'emmena, marquée de frais, comme la génisse élue du troupeau. ".