La personnalité de Trotsky est aussi hors du commun que sa destinée. Machine intellectuelle parfaitement agencée, au rendement exceptionnel, on peut dire de lui ce que lui-même disait de Lassalle et de Jaurès quant à la puissance physique de leur intellect : rigueur et imagination, puissance de rêve et finesse de l’analyse, netteté des objectifs et souplesse des méthodes, il disposait de tout cela.
Mais cet orateur gigantesque, cet écrivain à l’immense talent a été aussi chef d’armée, dirigeant de l’Etat, du parti, diplomate, organisateur des transports et l’un des plus fins analystes de la société civile et des questions culturelles. Il a fait la révolution et travaillé avec Lénine à la tête de l’Etat soviétique pendant cinq années décisives. Il est tombé du pouvoir dans l’exil plus vite qu’il n’y avait accédé (avant de voir les siens systématiquement supprimés, et de succomber en 1940 sous les coups d’un bras armé par Staline).
Du fait de la plus formidable tentative de l’Histoire menée pour faire de lui un « non-personne », il a pu sembler oublié du peuple soviétique. Or l’on découvre qu’il a conservé sa place dans « l’histoire vécue » qui se raconte dans les familles et que son souvenir hante au moins les salles et les turnes des universités d’URSS. Aucun des autres « Grands » des pays étrangers en 1917 ne jouit d’une renommée aussi universelle et de la capacité à provoquer des polémiques à partir de son seul nom.
Né en 1926, Pierre Broué, docteur ès lettres, est professeur à l’Institut d’études politiques de l’Université des Sciences sociales de Grenoble. Il est également président et directeur scientifique de l’Institut Léon Trotsky, qui édite les Cahiers Léon Trotsky.